Q : Le pôle Minatec qui se développe à Grenoble va devenir un centre de référence en matière de nanotechnologies. Pouvez-vous nous décrire en quelques mots ce projet et les raisons de l'implication de votre collectivité ?
Michel Destot : Le pôle Minatec (pour micro et nanotechnologies) est un projet unique en Europe de par son ampleur. Il s'agit du regroupement de deux écoles d'ingénieurs rassemblées au sein de l'Institut National Polytechnique de Grenoble, de deux laboratoires de recherche et d'une structure de haute technologie dédiée au développement de partenariats entre recherche et industrie. Ces moyens sont mobilisés pour soutenir la recherche et développer les diverses applications industrielles issues de ces technologies, le domaine central étant celui dit du "hard", c'est-à-dire des composants électroniques du type "puces".
Le budget du projet est de 169 millions d'euros dont 110 millions d'investissements publics. Il s'agit d'une opération structurante pour le développement du pôle d'innovation grenoblois, et surtout, créatrice d'emplois. Au-delà des 1500 emplois directs attendus en 2006, Minatec permet le développement de nombreuses applications industrielles dans les hautes technologies mais aussi dans des domaines comme les biotechnologies, l'optique, le textile, les nouvelles technologies de l'énergie, l'environnement….
Les projets similaires sont rares. Il existe un pôle en Allemagne, un aux Etats-Unis (1 milliard de dollars d'investissements) et un au Japon (700 millions de dollars investis).
Q : Quelle est la perception de ce projet au niveau local ? S'est-on préoccupé d'éventuelles conséquences sanitaires des nanotechnologies ?
M. D. : Le projet rencontre une forte adhésion de la part des Grenoblois, 90 % d'entre eux soutiennent cette politique de développement économique, c'est ce que révèlent les sondages. La courbe de création d'emplois est ascendante et même si elle n'est pas régulière, le solde en nombre d'emplois est positif, surtout si l'on prend en compte les emplois indirects et induits. De plus, la population grenobloise est un peu atypique car il existe une culture "recherche et industrie" assez ancienne à Grenoble.
Les inquiétudes exprimées portent sur l'usage qui peut être fait de ces technologies plutôt que sur les procédés eux-mêmes. Le débat existe, il est légitime, et nous savons que notre responsabilité n'est pas d'accompagner aveuglément, sans principe, sans objectif et sans précaution le développement.
R.P. : Comment gérer ces inquiétudes au niveau local ?
M.D. : Les collectivités assurent un travail d'information essentiellement axé sur les aspects économiques. La communauté scientifique communique également sur ses activités, les experts du CEA ont initié le projet Nanosafe 2 dont la première rencontre a eu lieu à Grenoble en avril 2005. Pour les aspects sociétaux, on s'appuie sur les compétences de l'Université Pierre Mendès-France, et leur expertise en sciences sociales. La Métro, la communauté d'agglomération de Grenoble, a en outre organisé en juin une table ronde sur ces sujets à la Maison de la Culture de Grenoble avec des experts et des associations.
On parle beaucoup de principe de précaution pour les domaines où l'on ne voit pas très clair, où les scientifiques ne peuvent prendre position. L'application de ce principe conduit à mon sens à l'inaction et à l'immobilisme, ce qui ne me semble pas le meilleur choix.
Ce qui me préoccupe en tant qu'élu, c'est le fossé qui existe entre ce qui se fait dans les entreprises et la perception qu'on en a à l'extérieur. C'est le rôle du représentant des pouvoirs publics de trouver le langage qui puisse être entendu par tous. Le premier principe à respecter est la transparence. Il faut éviter l'erreur qui à été faite sur le nucléaire, par exemple, sur lequel il y a eu un déficit de communication et un manque de distinction dès l'origine entre activités civiles et militaires.
Q : Comment vous informez-vous sur les éventuelles conséquences sur la santé de ces nouvelles technologies ? Avez-vous confiance en vos partenaires industriels ?
M.D. : Il faut rappeler que ces industries ne naissent pas de rien, elles ont une longue expérience dans les domaines de l'électronique et de l'énergie. Ces secteurs sont empreints d'une forte culture de sécurité. De plus, ces entreprises sont présentes dans la région, nous les accompagnons depuis longtemps.
Ces industriels sont convaincus de la nécessité d'informer sur leur activité. Notre rôle, en tant qu'élus, est de les aider à faire passer leur message auprès du grand public, ce qui n'est certes pas dans la culture des ingénieurs !
* interview parue dans l’édition d’octobre 2005 de la revue de l’Institut National de Recherche et de Sécurité